Docteur Bob and Mister Bad-Bob : Partie 2

Suite inédite de l’épisode 1, par Sengel. Dans le premier épisode Miss Mouton découvre la face sombre de Bob… Bad-Bob. Elle décide d’enquêter et de raconter la vérité, toute la vérité, car les VPMiens doivent savoir. Relire l’épisode 1.

 

Deux ans. Deux foutues années. Et il court toujours le bougre, il galope, il vole. C’est qu’il côtoie du beau monde, désormais, le pourfendeur de chacaux, le plus grand héros de tous les temps.
Tandis que moi je vis recluse, dans la plus haute salle de la plus haute tour sombre de Paris. Une tour désormais bien vide, depuis que Lui a déménagé les locaux de VPMédias, depuis que Lui a senti le vent d’Est venir l’emporter. Lui, c’est Docteur Bob ou devrais-je plutôt dire Mister Bad Bob !

Je viens de me réveiller. Il fait encore nuit. Y a rien à faire, je ne peux même pas compter les étoiles pour m’endormir. Le ciel est orange, à cause de la pollution lumineuse. L’air est lourd, à cause de la pollution automobile. Le monde est assourdissant, à cause de la pollution sonore. De toutes façons, je ne dors plus vraiment. Mon somnifère Godali℗ semble bien impuissant. Et puis chaque fois que je ferme les yeux, je le revois dans la force de l’âge, vaillant, se dressant entre le berger et le troupeau pour protéger Miss Mouton, gonflant ses muscles, transpirant la testostérone, rugissant comme le Lion des Enfers. Toujours ce rêve (peut-on rêver sans dormir ? Eh bien oui, c’est moi qui écris, je fais ce que je veux, non mais oh !)… J’ai encore rêvé de lui, pourtant, il n’a rien fait pour ça.

Deux ans. Deux années foutues oui ! Mais que s’est-il passé ? Je m’apprêtais à témoigner. Témoigner. À quoi bon ? Il n’est plus là. Et je suis seule. Si seule… Non mais oh, tu crois que je ne t’entends pas penser que cette introduction est inutile, plate et sans âme ? Regarde par toi-même, il n’y a que moi, la machine à écrire et toi. Hier matin, j’ai croisé un flamand rose au vingt-deuxième étage, il buvait à la fontaine d’eau. Oui tout à fait, il appuyait sur l’interrupteur avec son aile droite, tout en inclinant son long cou pour boire. J’étais tellement abasourdie que j’en suis sortie de ma culotte à reculons. Cette scène avait un je ne sais quoi de magique : j’étais là à le regarder, et lui à boire, dans une tour si silencieuse, si sombre, et en friche. Un soupçon de vie et la magie opère. L’oiseau avait dû passer par une des nombreuses fenêtres cassées. L’électricité ayant depuis longtemps été coupée dans le bâtiment, il avait certainement pensé que c’était un coin tranquille où passer la nuit. Et bah paf, je l’ai abattu avec ma chevrotine, et j’ai collé ses plumes sur la façade Sud pour mettre en garde ses acolytes. La chevrotine, c’est comme le bottin, ça laisse pas de trace, comme on dit par chez nous !

Ah mais c’est que je ne m’ennuie pas. Comme une araignée, inexorablement, je tisse ma laine. Viens par ici petit Hobbit, je vais te manger ! Petit petit petit ! Un peu de rouge à lèvres et la toilette est faite. Oh je ris, de me voir si belle en ce miroir. Alors comme ça tu m’as abandonnée Bob ? Je suis une ouf malade moi, t’aurais jamais dû faire ça Bob ! Témoigner je vais le faire ! Tu me crois timbrée, tu penses que depuis le temps j’ai craqué ma laine Bob ?

Miss Mouton s’empare des ciseaux posés sur son bureau, et les approche de ses boucles : du peu de toison jaunie qu’il lui reste, elle enlève un si gros morceau qu’à présent, on distingue aisément les quelques rides de sa peau. Une peau rougie par la vinasse. Après avoir rassemblé la laine en un tas bien épais, bien rond, elle verse le peu de Gin qui subsistait dans la bouteille couchée sur le sol. Il suffirait du étincelle, d’un rien, d’un contact, pour que le tout s’embrase. En présence du dihydrogène et du sulfure de méthane stocké depuis des siècles dans la masse laineuse, le Gin ne demanda pas son reste. Le tas s’embrasa. Les flammes léchaient le plafond. Elles avaient la forme de clothoïdes.

La clothoïde est une courbe plane caractérisée par la propriété que sa courbure en un point est proportionnelle à l’abscisse curviligne du point. Le mot clothoïde vient du grec klothein : « filer (la laine) ». Et ouais, on apprend toujours quelque chose avec moi ! Mais attention, on ne joue pas avec le feu. Miss Mouton est une personne responsable et laine d’esprit !

Et elle chanta si fort, que les quelques vitres qui subsistaient volèrent en éclats.

Quelle ordure, quelle imposture, des enfers vient,

Sa chevelure

Qui dévore ma laine par la tonture !

Cannibale, Magistrale, Denfert noircit ma chair,

Du désir, de manger, ce Lion des Enfers !

 

~

La tour Montparnasse était en feu.
Non loin de là, à deux rues, en remontant la rue de Rennes et en tournant à gauche pour le Boulevard Saint-Germain, au café de Flore, sous son petit air bonasse, mais toujours aussi perspicace, Bobmorane comprenait. Celle qui autrefois régnait sans partage dans son coeur s’était réveillée. En tandis que Docteur Bob fumait de bon matin sa pipe en compagnie d’un Magnifique fantôme, pour la première fois il avait peur. Il avait déjà vu une fois une telle force brute, il ne l’avait alors pas crainte, mais cette fois-ci c’était différent. Il fallait le voir ce grand gaillard un peu branlant. Il avait été quelqu’un autrefois, cela se voyait au premier coup d’oeil, malgré son teint pâle, les dents jaunies par le tabac, et le crâne clairsemé. Comme tout le monde il avait lu les premières révélations de Miss Mouton au sujet de Mister Bad Bob. Naïvement, il s’était dit que l’amiante était monté au cerveau de sa chère et tendre (et non pas tendre chair, Miss Mouton n’est pas un steak que l’on peut dévorer comme ça, malgré toutes les rumeurs), et avait gentiment proposé de déménager les locaux de VPMédias. Pas loin, à Bourg-la-Reine par exemple. Une bien jolie bourgade, desservie par le RER Bèè. « Le nuage de pollution s’arrête au périphérique, et puis un transport qui sonne pareil que Miss Mouton, ça ne pourra que lui plaire. Et puis, ça me coûtera moins cher en frais de location, nom di diou ! » s’était-il dit.

Non loin de là, à deux rues, en remontant la rue de Rennes, puis en s’échappant sur notre gauche par la rue Littré, rapidement interrompue par la célèbre rue Vaugirard du Monopoly et dans laquelle nous nous engageons jusqu’à atteindre de nouveau la rue de Rennes, que l’on suit jusqu’au croisement du boulevard Raspail sur notre gauche, puis en empruntant la rue du Cherche-Midi sur notre droite mais pas trop quand même, puis en poursuivant droit devant par la rue du Dragon qui débouche aussi sur le Café de Flore idéalement situé sur le boulevard Saint-Germain. Il s’agit là assurément du chemin le plus court qui, croyez-moi sur parole, vous permettra d’éviter la masse horripilante des touristes parisiens qui, non contents de traîner la savate, marchent deux par deux et limitent les dépassements.

Par ce chemin, vous découvrirez un tas d’enseignes dont les noms semblent surgir d’outre-tombe : des épiciers, un cordonnier-serrurier, des bouquinistes, un maroquinier, des chalutiers, des droguistes, un teinturier, et divers autres métiers dont l’énumération … n’est pas inutile ni fastidieuse, donc je continue : un tanneur, une jolie crémière, un joli crémier, un sabotier, quelques restaurateurs, un ou deux mendiants, des architectes, et même — alors là, c’est assez rare pour être signalé — un boulanger ! Bref, camarade, emprunte ces rues ! Non loin de là, disais-je, au café de Flore, sous son petit air fourbe, Mister Bad-Bob jubilait. Cela en était enfin fini de cette Miss Mouton, pour Lui qui avait réussi à l’isoler de tous et en particulier de son cher et tendre (ici, nous aurions pu dire tendre chair, car Bobmorane, rappelons le, jouit d’un embonpoint particulier rempli d’un gras qui graisse la viande si lentement que celle-ci prend le temps de se parfumer délicatement, et se conserve à bonne température. Ainsi, quiconque a déjà pu goûter au fessier de ce personnage confirmera que sa viande, aux légers accents d’herbes de Provence, finement aillée, est tendre à souhait. Elle oppose une résistance appréciable sous la dent, tout en se laissant décortiquer, pour finir par fondre et libérer ses saveurs pimentées et poivrées. Personnellement, je l’aime accompagnée de nouilles délicatement sautées). Mister Bad Bob jubilait.

La tour Montparnasse. Deux ans plus tôt. Je viens de me réveiller. Que s’est-il passé ? Ma tête semble peser une tonne. Le bruit des barres de lettres de ma machine à écrire résonnent d’un infernal bruit strident. Écrire devient pénible. Je balance les yeux à gauche, puis à droite. J’ai l’impression de voir ma chambre se mouvoir au ralenti. L’ampoule à filament suspendue non loin de moi peine à éclairer la pièce. Il n’y a de lumière que pour ma feuille. Que s’est-il passé ? Je me souviens très distinctement avoir opéré un Minitel hier en fin d’après-midi. Monsieur X était venu me voir avec une de ces merveilles :

« Cet appareil est bon pour la casse, je ne peux plus rien en tirer. Il paraît que vous êtes le meilleur chirurgien de la ville, vous pensez pouvoir faire quelque chose ? »
– « Bien sûr » avais-je posément répondu, en grattant machinalement mon ventre.
– « Ces machines ne valent plus rien de toutes façons ».
– « Peut-être, mais elle fait du zéro cinq au-dessus de la vitesse lumière, il est peut-être moche à voir, mais il en a dans le ventre, c’est ça qui compte », rétorqua pour moi la télévision.

Je n’ai pas pu résister, je l’ai ouvert. L’opération a duré plusieurs heures. J’ai failli le perdre, mais c’est un vaillant, il a survécu. Je suis ensuite rentré à la Tour enfiler ma casquette de gardien du wiki aux côtés de mon amour de Mouton. Un petit tour au bar, puis plus rien, le flou complet. Le trou noir. Que s’est-il passé ?

Le centre de Paris était bouclé. Ici un camion de pompier fonçant à toute allure les sirènes hurlantes, là un autre, encore un là-bas. Cela n’arrêtait plus, il fallait vite contenir l’incendie avant que le feu ne se propage. Armés de lances à eau, les pompiers luttaient vaillamment, mais pour une flamme éteinte, trois prenaient le relais. Soudain une explosion ! Miss Mouton vient de fracasser la vitre du vingt-cinquième étage, s’élançant dans le vide sur sa grosse cylindrée. « Géronimooooo ! » Les pompiers braquent les projecteurs sur cette masse qui fend le ciel. Les hélicoptères tentent une manoeuvre d’évitement désespérée, et se posent non sans dégât au pied de la tour. Miss Mouton fait rugir sa moto et atterrit sur l’échelle du camion des pompiers. Elle la descend à toute allure, avant de toucher le sol. Après avoir fait crisser ses pneus, elle s’engouffre dans la rue de Rennes sur une seule roue. Les voitures de police tentent de lui barrer la route, mais elle les évite en deux-trois coups de guidons. Et en un battement de cil, elle se retrouve devant le café de Flore.

Note de la rédaction : Selon différents témoins non fiables, l’énorme cylindrée pourrait n’être qu’une petite mobylette, dont l’équilibre précaire est à l’origine de mouvements incohérents et imprévisibles, ce qui expliquerait que Miss Mouton ait pu semer les forces de l’ordre.

« Préparez-vous, Bobs, le vent d’Est est arrivé, et il va vous emporter ! », rugit-elle, couvrant le
bruit du moteur de son engin.
« Tu es venu dans cette casserole ? Tu es plus brave que je ne le pensais. », répliquèrent-ils.

La tour Montparnasse. Deux ans plus tôt. La journée avait pourtant bien commencé. Bobmorane et moi nous étions entretenu en ces termes pour refaire le monde. Un échange aussi limpide et réjouissant qu’à l’accoutumé, devant la machine à café :
Miss Mouton : Salut à toi, Bob ! D’où, combien et jusqu’où ?
Bobmorane : Salut à toi, Miss Mouton ! À l’aube je sors, et le soir je rentre.
Miss Mouton : Quel est le nom de ce village ?
Bobmorane : Les quatre veines de l’entendement !
Miss Mouton : Oh, il y avait une colonne, et sur la colonne il y avait douze dattiers.
Bobmorane : Hum et sur chacun des douze dattiers, il y avait trente roues.
Miss Mouton : Je sais de source sûre que sur chaque roue il y avait deux messagers. Qui sont-ils ?
Bobmorane : Il va et il vient, il est venu et il viendra.
Miss Mouton : Tu es un homme sage, Bob.

Je me souviens parfaitement de cet échange, dont je sortais enchantée. Il est venu et il viendra.

Miss Mouton regarde Bob. Bob regarde Miss Mouton. Il est ému.
• « Tu as laissé ce sinistre individu corrompre ton âme Bob. »
• « Ce qu’il y a de sinistre, c’est ton pelage Miss. Où, qu’elles sont tes boucles, hum ? »
• « Plaisante pas avec ces choses là, Bob. »

Ailleurs, deux ans plus tôt. Je viens de me réveiller dans un tas de laine. Je ne suis même pas chez moi. J’entends le grondement du RER au loin. Depuis quand tout cela a t-il commencé ? De rien, je ne me souviens de rien ! Je deviens fou. Qui suis-je, où vais-je, où suis-je ? J’ignore de le savoir. Miss Mouton aurait-elle dit vrai ? Pourquoi cette laine ? Pourquoi ce flou ? Pourquoi ?

• « Ne m’oblige pas à faire ça, Bob. »
• « Je ne pensais pas que tu parviendrais à produire à nouveau un peu de laine, tu veux à nouveau te faire tondre ? Tondre l’autre joue, ça fait tellement réchauffé, navré, y a quelqu’un qui a fait ça avant toi. »
• « Tu ne me prendras pas mon Bobby. »
• « Ce n’est pas avec ton petit duvet de pacotille que tu vas me faire peur. L’homme bon que tu connaissais, le héros de tous les temps, l’increvable gardien de VPMédias n’est plus Misstinguette. Je le domine, il est moi, je suis lui. Je règne désormais sans partage sur VPMédias, je dicte sa vie. Je suis son présent, son passé, et son avenir. Qui contrôle le passé, contrôle
l’avenir. Je suis… »

Boum, Bad Bob s’effondre. Miss Mouton vient de lui asséner un coup de pelle. L’arme noble d’une époque révolue. Elle se penche alors au-dessus du gaillard assommé et dépose sur ses fesses rebondies, un tendre baiser. Voilà bien quelque chose qu’elle n’avait pas pu faire depuis bien longtemps. Bobmorane se réveilla, débarrassé de cet être maléfique. Ils se marièrent, et eurent difficilement beaucoup d’enfants. Miss Mouton a offert une petite bague en laine à son amant pour que jamais plus il ne l’oublie. Elle lui fait également chaque semaine une petite piqure d’un liquide translucide et inodore, inconnu, mais nécessairement bon pour Bobby.

 

Le feuilleton continue. Découvrez la partie 3 de Docteur Bob et Mister Bad-Bob dans l’introduction du Classement National du 13 novembre 2017. Lire la partie 3.

 

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Commentaires

4 réponses à “Docteur Bob and Mister Bad-Bob : Partie 2”

  1. Avatar de BobMorane

    Trois ans depuis le premier épisode, et voici enfin cette suite inédite ! Mais cette attente est récompensée. :cheers:
    Une structure complexe, une bonne dose de drogue, une montagne de folie, mais un texte riche, un texte fou… un chef d’oeuvre.
    Partout de l’humour, et des références à presque chaque ligne. C’est pas super fort, c’est mieux que ça même, c’est surpuissant!
    Bravo Sengel :heart: :iloveyou:

    Je précise que j’ai rédigé la partie 3 (l’intro du dernier classement) après avoir lu ce texte, pour y faire suite, et que donc que c’est bien dans cet ordre qu’il faut les prendre (je fais volontairement de multiples références au texte de Sengel, notamment par rapport à l’histoire, et qui deviennent sans doute plus claires à présent).

  2. Avatar de Kropo
    Kropo

    Comme ce style m’avait manqué ! Une référence :D

  3. Avatar de Sengel
    Sengel

    Tout simplement, merci :ivre:
    Et chapeau à Bobmorane pour ses talents d’illustrateur. Sans sa merveille d’image et son pinceau qu’il pilote aussi bien qu’un hélicoptère, cette histoire que je tenais à terminer serait bien moins chouette :heart:

  4. Avatar de fysk
    fysk

    Dommage que ça n’intéresse que vous mdr